Réhabilitation de la loi sur l’emploi des langues ?

Une contribution précédente (23 janvier 2019, « L’emploi des langues : adieu ou au revoir à la sanction de la nullité absolue en matière judiciaire (civile) »), précisait la manière dont la loi sur l’emploi des langues en matière judiciaire (ci-après loi emploi des langues), fut amputée. La loi Pot-pourri VI avait en effet annulé la nullité absolue en cas de violation de ladite loi.

De ce fait, le juge n’avait plus aucune possibilité d’intervenir lui-même en cas de violation de la loi sur l’emploi des langues par les parties. Les parties au procès avaient ainsi quasiment libre choix de la langue du procès. Il devenait par exemple imaginable que les parties décident de mener une procédure (civile) en français devant un juge à Anvers, laissant ce dernier devant le fait accompli. Même si l’une des parties utilisait une autre langue, les autres parties ne pouvaient aller à l’encontre de cette décision que si celles-ci étaient en mesure de prouver une atteinte à leurs intérêts.

Une initiative législative avait pour objectif de mettre fin à cette situation (http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/3220/54K3220001.pdf) et le Ministre Geens avait également annoncé vouloir remédier à cette problématique.

La Cour Constitutionnelle a été plus rapide que le législateur et est intervenue elle-même. Dans un arrêt du 19 septembre 2019, la Cour a annulé la modification législative. La Cour a notamment estimé que le droit à un procès équitable n’était pas garanti par un règlement obligeant un juge de « connaître d’actes de procédure qui n’ont pas été accomplis dans la langue obligatoire de la procédure devant la juridiction dont il relève et qu’il n’est pas supposé connaître légalement ». En d’autres termes, si le juge doit tenir compte de pièces dans l’une des autres langues du pays, il n’est pas garanti qu’il prenne connaissance de manière convenable des griefs et arguments des parties.

La Cour Constitutionnelle a donc rétabli l’importance de la langue en matière de procédure judiciaire.

Cette annulation signifie toutefois un retour au règlement antérieur (trop) rigide. Le juge doit en effet d’office soulever une violation de la loi sur l’emploi des langues et prononcer la nullité des pièces contaminées, en sachant que, en principe, il n’y a aucune possibilité de nier une telle violation. Ainsi, des retardements non-souhaités et des obstructions volontaires de la procédure sont à nouveau à l’ordre du jour. Nous pouvons donc encore nous attendre à des adaptations futures de ce règlement.

Lien vers l’arrêt 120/2019: https://www.const-court.be/public/n/2019/2019-120n.pdf

© Jacques Vandeuren et Arne Fierens

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