La faute d’un huissier de justice : force majeure ou pas ?

La question de savoir si une erreur commise par un huissier en tant que mandataire, telle que l’expiration d’un délai, constitue un cas de force majeure de la part du mandant, suscite la controverse depuis des années.

En général, nous pouvons que les erreurs ou omissions du mandataire, tel qu’un huissier ou un avocat, lient le mandant lorsqu’elles sont commises dans les limites de leur mandat. Ces erreurs ne peuvent en soi constituer une cause étrangère, un cas fortuit ou un cas de force majeure pour le mandant. Cette règle a donc longtemps empêché que l’erreur d’un huissier de justice permette une prolongation du délai pour cause de force majeure.

Entre-temps, cette règle de base avait été adaptée. Compte tenu (1) du droit d’accès au juge prévu à l’article 6.1 de la CEDH, (2) du monopole accordé aux huissiers de justice par l’article 519 § 1 du code judiciaire et (3) des restrictions au choix de l’huissier de justice en fonction, une erreur ou une négligence de la part de cet officier ministériel peut être considérée comme un cas de force majeure, selon la Cour de cassation.

Il s’ensuit que lorsque, par l’action de l’huissier de justice, le délai légal pour l’établissement d’un acte juridique spécifique a expiré, ce délai peut être prolongé de la période pendant laquelle il était absolument impossible pour le mandant d’établir cet acte juridique. Toutefois, cela implique également que le mandant soit réputé agir immédiatement à partir du moment où ce délai prend fin.

Comme il ressort d’un récent arrêt de la Cour de cassation (Cass. 12 mai 2020, P.20.0104.N), la condition selon laquelle l’huissier a agi dans le cadre de son monopole d’officier ministériel doit être interprétée strictement.

En l’espèce, le mandant avait donné instruction à l’huissier, en temps utile, de signifier un pourvoi en cassation aux défendeurs et de procéder ensuite au dépôt de l’acte de signification au greffe la Cour de cassation. Conformément à l’article 429, paragraphe 2, du code d’instruction criminelle, cette signification et ce dépôt doivent avoir lieu dans les deux mois suivant la déclaration de recours en cassation. En l’espèce, la déclaration de pourvoi en cassation datait du 20 décembre 2019, de sorte que la notification du 13 février 2020 avait été effectuée à temps. Cependant, l’huissier de justice n’avait pas déposé l’acte de signification au greffe de la Cour de cassation dans le même délai de 2 mois. Il avait notamment effectué le 1er avril 2020 et a donc tardivement, de sorte que le pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable.

Le mandant – qui a été confronté à cette négligence contractuelle de la part de l’huissier – faisait pourtant valoir que l’erreur de l’huissier de justice constituait en son chef une situation de force majeure puisqu’il avait instruit l’huissier de justice en temps utile et correctement. La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement. Selon la Cour de cassation, il ne peut être question de force majeure pour une erreur commise par l’huissier dans l’exercice de tâches pour lesquelles il n’agit pas en tant qu’officier ministériel et n’a donc pas le monopole.

Par conséquent, lorsque la signification du pourvoi en cassation relève du monopole de l’huissier de justice en tant qu’officier ministériel, cela ne s’applique pas au dépôt ultérieur de l’acte de signification auprès du greffe.

Dans le cas présent, la mission du mandant consistait donc en une tâche qui ne relevait pas du monopole de l’huissier de justice en tant qu’officier ministériel, ainsi qu’une tâche qui en relevait. En ce sens, une signification tardive aurait constitué un cas de force majeure, alors que tel n’est pas le cas pour le dépôt ultérieur.

Il serait donc préférable que le mandant reste sur ses gardes. Un mandant averti en vaut deux !

© Jacques VANDEUREN en Arne FIERENS

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